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Doisneau chez les Joliot-Curie

On connaît le Doisneau du Paris populaire avec ses enfants qui jouent dans la rue, celui des amoureux avec le baiser de l’Hôtel de Ville, le poète de la rue avec ses marchandes de quatre saisons, ses forts des halles... On connaît aussi le Doisneau qui a travaillé au département publicitaire de la régie Renault et qui s’est fait renvoyé pour ses retards répétés. On découvre ici un Doisneau inconnu, un Doisneau "la science", qui nous entraîne dans les laboratoires des époux Joliot-Curie. En réalité, il répond à des commandes qui lui ont été passées entre 1942 et 1956.

La première de ces commandes a pour objectif d’illustrer un livre qui doit mettre en avant l’excellence française. Les époux Joliot-Curie ont reçu le prix Nobel en 1935, moment d’effervescence dan les milieux scientifiques et projets ambitieux dans les esprits des chercheurs. Le fait que Doisneau partage les mêmes idées politiques avec Frédéric et Irène, facilite leurs rapports. Irène Curie est la fille de Marie Curie, elle sera quelques mois, sous-secrétaire d’Etat à la recherche scientifique dans le gouvernement du Front Populaire. Alors que les femmes n’ont pas encore le droit de vote, elle est décrite comme une femme très réservée. Doisneau a toujours pris les époux Jolio-Curi séparément. Henri Cartier-Bresson lui, fera le portrait des deux époux l’un à coté de l’autre. Les conditions de cette prise de vue sont mémorables. Cartier-Bresson raconte, peu fier, qu’il a frappé à leur porte et quand ils sont apparus, il leur a dit qu’il venait pour la photo : il a pris ses clichés en coup de vent et est parti en leur disant à peine au revoir. Leur timidité l’avait rendu très mal à l’aise, au point d’en être impoli.

Avec ce premier reportage Doisneau nous plonge dans un univers extravagant. On sent le plaisir du photographe à collaborer à ce projet Il s’agit d’un monde de science fiction que l’on imagine plus proche de celui du savant fou que de celui de véritables chercheurs, le nom qui caractérise cette époque fait sourire en l’évoquant : "la Big Science". L’idée de construire un cyclotron émerge en 1936 en plein Front Populaire, il sera mis en service en 1942, en pleine occupation. Dès sa mise en service, cet instrument monumental sera déjà dépassé par rapport à ce qui se faisait aux Etats-Unis. Il restera en fonction jusqu’à la fin des années 50, pour être démonté en 1958.

Cette série de photos est celle qui a le plus d’originalité et de puissance. Doisneau pour traduire le gigantisme du laboratoire et de ses installations, prend ses clichés de haut, en contre plongée. Pour donner une indication de l’échelle, un homme est présent, il porte une blouse blanche qui lui descend jusqu’aux chevilles renforçant le côté irréel de la situation. Il a, soit les mains dans le dos comme s’il était le maître des lieux, soit il se tient au pied d’un tableau de commandes. Les séries suivantes ont été faites pour être diffusées dans des revues scientifiques, d’autres pour réaliser des plaquettes de présentation du laboratoire, certaines n’ont jamais été utilisées et on n’y trouve pas spécialement la patte du maître. Elles représentent des expériences avec du matériel dont les spécialistes n’arrivent pas toujours à identifier l’utilité. L’identité des hommes ou des femmes qui y sont photographiés est aussi souvent inconnue. Ce livre est le support de l’exposition qui s’est déroulée en 2005 au Musée des Arts et Métiers dans le cadre de l’année de la science et qui a eu notamment pour objectif de sortir de l’ombre ce patrimoine scientifique. Elle aura eu le mérite de faire connaître cette activité méconnue chez Doisneau alors que l’on croyait tout savoir sur lui.

Romain Pages Editions (Editeur)
Robert doisneau (Photographe)
Parution : 4 mai 2005
Format : Broché, 119 pages
ISBN : 2843502101
Dimensions (en cm) : 28 x 2 x 28
Prix : 30 euros