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Guy Bourdin

Le nouveau musée du Jeu de Paume, devenu le temple de la photographie, a ouvert ses portes le 24 juin. Sa première exposition est consacrée à Guy Bourdin, elle se termine le 12 septembre 2004.

© The Guy Bourdin Estate

Guy Bourdin est né en 1928 à Paris et y décédera en 1991. Il a été abandonné par sa mère. Très jeune il dessine et peint, Paul Wagner dit de lui « Il peint en photographiant ». Au cours des années 1948 et 1949, il apprend la photographie pendant son service militaire dans l’aviation.
C’est Man Ray qui l’introduit dans la Galerie 29, rue de Seine, alors qu’il n’a que 24 ans. Il rencontrera ensuite Edmonde Charles-Roux rédactrice en chef adjointe de Vogue qui lui permettra de publier ses premières images à 27 ans dans la fameuse revue. Il y travaillera pendant 33 ans.

Pour ces premières images publiées dans Vogue, il va faire poser un mannequin devant des têtes de veaux puis devant des lapins écorchés...

© The Guy Bourdin Estate

Son travail a marqué profondément la photographie de mode et le monde du luxe. En 1967 il commence à travailler pour les campagnes de publicité du chausseur Charles Jourdan, auquel son nom est totalement associé et qui deviendra son client le plus fidèle.

La particularité de Bourdin est de mettre le produit à vendre dans des décors et une ambiance décalée ou inattendue, faisant en sorte de faire passer le produit après ; celui ci devient un accessoire de sa mise en scène.
Ces images sont très marquées par un érotisme provocateur et une ambiance morbide. La femme est crucifiée, allongée comme un cadavre. Il va jusqu’à la pendre, lui recouvrir le visage d’une revue ou d’un journal comme s’il passait après les meurtres d’un déséquilibré pour constater les faits.
Je ne sais pas quels rapports il entretenait avec les femmes mais dans ces photos il les tue, les fait souffrir, constate leur mort. L’homme y est quasiment absent. En veut-il à sa mère qui l’a abandonné, veut-il faire payer aux femmes cette souffrance ?

© The Guy Bourdin Estate

Il va jusqu’à se passer de mannequin, en évoquant simplement sa présence. On voit par exemple sur le trottoir le trait blanc à la craie qui délimite la position du corps d’une femme assassinée, on remarque les flaques de sang et deux chaussures laissées sur place par la police, qui est venue retirer le corps.
Ces images sont intéressantes malgré leur coté morbide..

En effet Guy Bourdin utilise l’humour et s’amuse a réaliser une publicité pour chaussures de luxe « politiquement incorrecte ». Une femme est ligotée sur des rails de chemin de fer, on ne voit que ses jambes mais il y en a trois... des jambes, affublées de collants de couleurs différentes.
Le luxe, il aime le maltraiter, le mettre dans des décors ordinaires, tristes, décadents. Il arrive à prendre la photo d’un mannequin qui passe devant un poteau électrique en béton avec comme fond un mur décrépi. Le lecteur ne voit plus que les chaussures portées par la femme, son corps, son visage sont dissimulés par l’imposant poteau.

Bourdin pouvait passer beaucoup de temps à réaliser une image, il avait des carnets où il préparait sa mise en scène et une équipe de fidèles, composée de coiffeurs, maquilleuse et éclairagiste.

Pour Noël 1968 il présente dans Vogue des images de mannequins recouvertes de petites perles noires collées sur leur corps ressemblant à du caviar. Elles s’évanouiront avant la fin de la séance, privées d’oxygène.
Il fera attendre Hursula Andressn, pendant six heures allongée nue sur une table de verre, le temps que l’on trouve des roses assorties au teint de sa peau.

© The Guy Bourdin Estate

Il ne lésine pas sur les moyens, il fera passer dans le ciel un Boeing de la Pan American pour le voir raser le toit d’une voiture. Il se fait livrer une Ferrari sur la plage d’Etretat qu’il n’utilisera pas, tout compte fait. Il colore la mer afin d’obtenir le bon bleu, fait peindre l’herbe en vert et la paille en jaune pour avoir la tonalité qui lui plait, il fait aussi enduire d’huile l’écorce des arbres. A l’époque il n’y avait pas la technologie numérique pour retoucher l’image. Tout son travail est dans les éclairages parfois très crus, on voit ainsi le blanc du projecteur se refléter sur le carrelage d’une salle de bain ou le mur rose laqué. Sur bon nombre de photos le rouge et le vert se côtoient.

Il a créé un univers très personnel, très reconnaissable. En 2003 à l’occasion de la sortie du clip de Madonna intitulé "Holywood", Samuel ; le fils de Guy Bourdin a engagé un procès contre Jean-Baptiste Mondino pour plagiat. Je n’ai pas trouvé d’information sur l’issue du procès, mais il n’y a aucun doute, d’ailleurs Mondino raconte dans une interview qu’il est un admirateur de Guy Bourdin et ne se cache pas de ce clin d’œil en direction du maître. Voici un comparatif.

Guy Bourdin joue avec la double page des magazines. Il affectionne aussi la photo dans la photo. Ainsi une publicité pour Charles Jourdan, dans le numéro de mars 1978 du Vogue français, représente un mannequin accroupi sur une passerelle, chaussé de sandales à talons, jambes écartées sur les deux pages en vis-à-vis. Le mannequin tient à deux mains un cliché d’elle-même, qui cache tout le haut de son corps, en ne laissant dépasser que l’entrejambe d’un côté et les yeux de l’autre. Tourner la page, c’est refermer l’image publicitaire, mais aussi les deux jambes du mannequin...

Guy Bourdin a été comparé à Helmut Newton car ils opéraient tous deux sur le registre du luxe et de la sexualité dans un état d’esprit provocateur, ce que l’on appelle le porno chic. Chez Bourdin, le coté chic est mis à mal.
Newton prend des grandes femmes blondes à la poitrine généreuse, les modèles de Bourdin, sont des femmes plus petites, assez souvent rousses, presque sans poitrine. Newton a construit sa fortune en vendant ses images par le biais de galeries et par l’édition de livres. Bourdin a refusé le grand prix national de la photo et retourné un chèque de 70 000 francs au ministère de la culture qui le récompensait en écrivant "Je ne veux blesser personne mais ma tranquillité m’est vitale". Par contre en 1988 il accepte l’Infinity Award qui lui est décerné par l’International Center of Photography à New York pour sa campagne Chanel de 1987.
Il n’expose pas, ne sort pas de livre, refuse les interviews. Il garde ses archives dans des boites à chaussures et des sacs poubelle.
L’exposition nous présnete de très beaux tirages numériques réalisés en 2003 et 2004 par Pascal Dangin, Box Ltd, New York. Seule ombre au tableau, les reflets ; il y en a partout et il est parfois difficile de lire les images tant l’éclairage est mal adapté.

Pour l’occasion Gallimard édite un livre de 168 pages comprenant 88 photographies.


Sources

 Communiqué de presse du musée du Jeu de Paume
 Connaissance des arts photo n° 1 Guy Bourdin l’œil absolu, article de Magali Jauffret
 Télérama n° 2841 La griffe Bourdin, article de Luc Desbenoit
 Photo n° 410 Interview de régis Durand par Damien Sausset
 Le Monde 2 n° 27-28 Jeu de massacre, article de Michel Guerrin
 Photo n°404 Hommage ou plagiat, interview John Koegel avocat de Samuel Bourdin

Toutes ces images sont issues du site officiel Guy Bordin. www.guybourdin.org