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Lendemains de Joel Meyerowitz

Cet été Joel Meyerowitz commentait ses photos projetées sur écran dans le cadre du festival d’Arles. Au début du mois d’octobre il était à Paris pour le vernissage de son exposition « Out of the Ordinary , 1970-1980 » au Jeu de Paume (site Sully). Quand on regarde cet homme au crâne rasé, on a du mal à lui donner un âge. Ce natif du Bronx et venu au monde en 1938, il est l’une de figures de la photographie américaine en couleur, formant avec Stephen Shore et William Eggleston un trio au style si particulier. Alors que le monde des photographes de l’époque utilisait le noir et blanc reléguant la couleur à la publicité, Joël Meyerowitz et ses amis photographiaient l’Amérique en couleur. Cette longue démarche devait le conduire à ce livre atypique. A l’écouter parler on comprend toute la détermination qu’il lui a fallue pour venir à bout de son projet intitulé « Aftermath » (« conséquences » en anglais qui a pris le titre de « Lendemains » en Français).

Le 11 septembre 2001 Meyerowitz se trouvait dans le Massachusetts et c’est sa femme, depuis New York qui l’a prévenu de ce qui se passait. Joël à voulu rentrer immédiatement mais la ville était sous un blocus total qui a duré plus d’une semaine. En se rendant sur les lieux avec son appareil photo, il a été confronté à la ferme interdiction de la police de photographier les décombres de l’attentat qui a bouleversé l’équilibre mondial jusqu’à présent établi. On lui a répliqué qu’il s’agissait là du lieu d’un crime. Joël Meyerowitz a d’abord pensé à une démarche collective qui aurait pu être menée avec plusieurs photographes dans l’esprit du projet FSA (Farm Security Administration) mis en place en 1935 par Roy Emerson Stryker pour révéler les conditions de vie du monde agricole. Cette idée est retombée faute de photographes disponibles et motivés.

Il a alors entrepris une demande d’autorisation officielle auprès du maire de New York, demande qui n’aboutira jamais. Avec son passé de gamin débrouillard du Bronx le photographe à trouvé un passe grâce à un ami qui travaillait aux parcs et jardins de la ville de New York. Les couleurs des passes changeant presque tous les jours, il les a fabriqué avec un scanner et une imprimante. C’est le 23 septembre qu’il va pouvoir prendre sa première photo des ruines des Twin Towers. Il n’a pas choisi la facilité car il s’est muni d’une chambre en bois pour capter le plus de détail possible. De fait avec 12 kilos de matériel il ne pouvait pas passer inaperçu. Il a rapidement compris les codes vestimentaires pour se fondre dans la paysage, il s’est couvert d’un casque de chantier qui traînait et s’est muni d’une paire de gants de travail. Presque chaque jour il s’est fait refouler. A chaque fois il a expliqué à ses interlocuteurs que l’on ne pouvait pas ne pas garder une trace de ce chantier, véritable cimetière à ciel ouvert, témoin de la fin d’une époque de notre histoire . Il lui a paru immédiatement inconcevable que les Etats Unis soient privés de leur histoire par une mesure d’interdiction de photographier. Rudolph Giuliani alors maire de New York ne voulait pas, pour le respect des victimes que paraissent dans la presse ou sur internet, des images de cadavres. Afin d’éviter tout dérapage, il lui est apparu plus simple d’interdire totalement toute prise de vue. Joël Meyerowitz a su avec ses arguments convaincre des responsables locaux de la police et des pompiers, il a reçu ainsi leur appui. Il a pu bénéficier d’une sorte de protection qui lui permettait en cas de besoin d’appeler « un tel » sur son portable, qui intervenait auprès d’un collègue pour lui expliquer le travail de mémoire que Meyerowitz réalisait. Parfois ce sont les pompiers eux-mêmes qui le guidaient sur des points de vue qu’ils trouvaient beaux et émouvants. Meyerowitz va passer presque neuf mois sur Ground Zero et ses dernières images sont datées du 30 mai 2002. Pour mener à bien ce projet à 63 ans Joël Meyerowitz a vendu sa maison de campagne et hypothéqué son loft de New York. Comme tous ceux qui ont travaillé sur ce lieu il rencontre actuellement des problèmes pulmonaires du à la poussière. Ce « travail » de fin de carrière a changé sa façon de voir la vie, il espère vendre suffisamment de livres pour pouvoir rembourser les emprunts qu’il a contracté pour financer cette commande que seule sa conscience lui a dictée.

Les photos sont classées par ordre chronologique, les saisons servent à chapitrer le récit. Il y a des photos de jour, de nuit, avec des gens ou sans personne, des portraits d’ouvriers, de pompiers, de policiers... Joël Meyerowitz tient son journal quotidiennement et ses écrits éclairent ses photos, mettent en évidence, sa sensibilité, sa délicatesse et son humilité.

Joël Meyerowitz, Paris octobre 2006
© Didier Gualeni

On voit que tout ce travail de déblayage n’aurait pas été possible sans le ballet incessant jour et nuit des pelleteuses et des camions. C’est parfois jusqu’à dix pelleteuses qui travaillent sur un même lieu. Joël Meyerowitz capture ces engins sur sa pellicule, il reste assez distant mais les fait bien ressortir dans ce paysage de désordre. La pelleteuse est déjà entrée dans le monde de l’art plastique, de la danse et de la vidéo, avec ce travail elle prend place dans le monde de la photographie.

En effet il est surprenant de voir comment ce type d’engin a inspiré Wim Delvoye qui a crée des pelleteuses grandeur nature en acier découpé ou en teck dans un style gothique. En France, il y a quelques années Enrique Jezik au cours d’une performance, était aux manettes d’une pelleteuse équipée d’un marteau pneumatique. Il a perforé la dalle de béton du centre d’art moderne de Poitiers dessinant un rond en pointillé. On évoquera également Julien Amouroux qui a présenté dans la salle de concert du Confort Moderne une pelleteuse gonflée (air pulsé) grandeur nature en papier coloriés. Il ne faut pas oublier le célèbre Peter Klasen qui a peint des détails d’engins d’une façon hyper réaliste à partir de photographies. Récemment, Dominique Boivin a invité la pelleteuse dans l’univers de la danse en réalisant un duo pour un danseur et une pelleteuse. La vidéo n’est pas en reste avec Monica Febrer qui a filmé un engin qui essaye inlassablement de ramasser un ballon en plastique transparent. Dans la même veine Zilla Leutenegger met en scène sur un chantier, la promenade d’une jeune femme installée dans le godet d’une pelleteuse.
Dans l’art, la pelleteuse a jusqu’ici été envisagée sous un angle poétique, les images de Joël Meyerowitz leur donnent une dimension dramatique et symbolique, tels des animaux préhistoriques, elles mettent à nu un quartier de New York où près de 3000 personnes ont trouvé la mort.

Joel Meyerowitz describes photographing the recovery effort of 9/11

Lendemains
Joel Meyerowitz (photographe)
Broché : 349 pages
Editeur : Phaidon Press Ltd. (12 octobre 2006)
Collection : PHOTOGRAPHIE
Langue : Français
ISBN-10 : 0714896810
Prix : 75 euros