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Sentinelles de l’ombre

Derrière ce titre étrange et une couverture énigmatique qui rappelle des photos des surréalistes, se cache un livre qui témoigne des ravages des mines antipersonnel. Il est réalisé par une femme sensible et très courageuse. L’ouvrage est composé de deux parties : les photographies, suivies par des textes, véritables carnets de voyages. Jane Evelyn Atwood présente 88 photographies en noir et blanc et plus de 50 pages de texte. Pour chaque pays elle nous fait part de ses impressions de voyage et nous transmet des témoignages recueillis sur place.

Entre 2000 et 2003 Jane Evelyn Atwood a rencontré et photographié des victimes de mines antipersonnel. Elle s’est rendu, pour le compte de Handicap International, au Cambodge, au Mozambique, au Kosovo, en Angola et en Afghanistan. Chaque année entre 15 000 et 20 000 personnes sont tuées ou mutilées par des mines, la plupart sont des civils et nombre d’entre eux sont des enfants. Les mines sont volontairement fabriquées pour estropier ceux qui en seront victimes. Les mutilations engendrées sont aussi des instruments de démoralisation des troupes et de la population. Une fois les hostilités terminées, ce sont les civils qui deviennent victimes de ces engins. Des équipes de démineurs nettoient patiemment les parcelles, les unes après les autres. Dans certaines régions, ce travail durera encore des années. Jane Evelyn Atwood raconte qu’il arrive qu’en Afrique, des habitants volent les petits fanions qui délimitent les zones minées afin de décorer leur intérieur.
Elle nous fait aussi le récit d’un enfant afghan qui a ramené chez lui une mine de couleur vive pour l’accrocher au mur de sa chambre en s’aidant d’un marteau et d’un clou : il a perdu les deux bras. Les enfants sont souvent victimes des mines car elles attisent la curiosité, les modèles sont très nombreux et souvent très colorés. Il suffit de sortir du chemin balisé pour être immédiatement en contact avec ces engins aux effets irrémédiables.

En quelques pages elle nous livre un tableau de la bêtise humaine, de la méchanceté à l’état pur, d’un monde étouffant de violence, de souffrance et de misère. Sa mission est de photographier, de témoigner des ravages des mines. Elle fait aussi parler ces hommes, ces femmes et ces enfants qui, dans une situation normale ont déjà du mal à vivre malgré des journées de travail sans fin. Privés de leurs membres, ils sont condamnés à mendier, à vendre au bord de la route quelques bouteilles de soda. La plupart ont honte de leur corps mutilé, ils sont rejetés par leur environnement. Violeta une chef d’équipe de démineurs au Kosovo déclare « Nous appelons les mines antipersonnel sleeping soldiers, les soldats assoupis : si nous ne les trouvons pas, elles nous tueront ». Cette femme a déjà perdu une jambe dans le cadre de son travail. En Afghanistan les victimes des mines sont considérées comme victime de leur engagement dans le Jihad (la guerre sainte contre tout ce qui n’est pas musulman). A ce titre ils touchent une pension et sont assurés d’aller au paradis. Aussi les démineurs afghans sont moins enclins à la prudence et font courir des risques à ceux qui les entourent. Les autres handicapés, eux n’ont droit à aucune aide.

Handicap international vient en aide à toutes ces victimes des mines en mettant en place des centres de fabrication, de pose de prothèses et d’adaptation. Au Mozambique par exemple Jane Evelyn Atwood évoque le cas d’un centre qui ne reçoit plus de matière première pour fabriquer les prothèses. Pourtant des gens font des centaines de kilomètres pour rejoindre ce centre ; n’ayant pas les moyens de rejoindre leur village, ils sont condamnés à rester sur place. Les photos de Jane Evelyn Atwood sont en noir et blanc, ce qui accentue le coté dramatique de la situation. Ces images sont dérangeantes, on voit des moignons, des gens qui ont perdu, un, deux, voir trois membres. On voit des appareillages qui sont loin de rappeler le membre amputé et qui le plus souvent paraissent archaïques. Certaines victimes regrettent d’avoir survécu, il leur sera pratiquement impossible de trouver un mari ou une femme, de travailler, de nourrir leur famille, d’être inséré dans un monde où il n’y a pas de place pour les handicapés. Chaque page du livre nous renvoie à un destin brisé, un regard digne, une profonde tristesse. Cet ouvrage a été réalisé en soutien à l’action de Handicap International qui lutte contre la production, l’utilisation et la prolifération des mines antipersonnel dans le monde. Ses objectifs de sensibilisation et d’interpellation sont atteints, par la sobriété des images, l’acuité et la pertinence du regard de Jane Evelyn Atwood.

Jane Evelyn Atwood, séance de dédicace à la galerie Picto
© Didier Gualeni

Elle a publié plusieurs livres :
 Extérieur nuits Photopoche (Nathan)
 Dialogues de nuit (Ramsey)
 Légionnaires (Hologramme)
 Trop de peines, femmes en prison (Albin Michel)
 Sentinelles de l’ombre (Seuil)

Le site internet de Jane Evelyn atwood

Seuil (Editeur)
Jane Evelyn atwood (Photographe)
Parution : 01/09/2004
17 x 2 x 25 cm broché, 212 pages
ISBN : 2-02-06543
Prix : 40 euros